LE GRAND DÉBRIEFSMART TECHlun. 11/12/23

Lundi 11 décembre 2023, SMART TECH reçoit Léo Briand (Cofondateur et président, Vittascience) , Alain Staron (président cofondateur, Artifeel) et Julien Pillot (Consultant, Enseignant-chercheur en économie, Inseec - Groupe Omnes Education)


X à l’article de la mort, vraiment ?

“Allez vous faire foutre. Est-ce que c’est clair ?”. Ce sont les mots prononcés par Elon Musk à l'occasion d'un forum organisé par le New York Times il y a quelques jours. Ce dernier n’a en effet pas hésité à exprimer son mécontentement face aux annonceurs qui se retirent de son réseau social X dont les revenus dépendent presque entièrement de la publicité. Mais alors, la plateforme va-t-elle vraiment faire faillite ? On en parle dans le grand débrief de SMART TECH en compagnie de Julien Pillot, économiste et enseignant-chercheur à l’Inseec, Léo Briand, cofondateur de Vittascience et Alain Staron, président d’Artifeel.

« Allez vous faire foutre. Est-ce que c’est clair ? » Quand Elon Musk n’est pas content, il le dit très clairement. Et il sait aussi pointer des coupables. « Tout le monde saura que les publicitaires auront tué l’entreprise » assurait le milliardaire le 29 novembre, dans une interview accordée au New York Times en marge du DealBook Summit. Si le patron de X/Twitter enrage, c’est parce que ces gros annonceurs désertent son réseau social. Au point de le faire fermer ? Il y a encore une certaine marge selon Julien Pillot, enseignant-chercheur en économie à l’INSEEC.

Musk et Twitter, 44 milliards de dollars pour quoi faire ? 

« Si on en croit les données qui nous reviennent de la direction de X, le nombre d’utilisateurs serait plutôt en légère croissance. » Sauf que ce n’est pas le nombre d’abonnés qui détermine les recettes directes de l’entité, mais bien ses partenariats publicitaires. « Dans la mesure où les plus gros annonceurs s’en vont, soit en réaction aux propos qui peuvent y être tenus, soit en réaction à la politique générale de l’entreprise ou la personnalité d’Elon Musk, cela fait de gros trous dans les caisses. »

A priori, le serial entrepreneur a déjà un plan pour compenser ses pertes, puisqu’il « croit au changement de modèle économique » vers plus d’abonnements et moins de publicités, selon Léo Briand, président de Vittascience. « Mais ce n’est pas une réalité à court terme, si son but est d’avoir des abonnements et des services financiers, il doit réussir à tenir pendant la transition. » La question porte donc sur les montants que le boss de Space X et Tesla pourrait encore mettre dans le réseau social. « On ne met pas 44 milliards de dollars sur la table pour un réseau qui n’a jamais fait que des déficits à l’exception de deux exercices bénéficiaires dans son histoire » précise Julien Pillot. Selon lui, « on achète un réseau de ce type pour l’influence politique que cela peut donner, et aujourd’hui, X donne une influence politique assez importante à Elon Musk. Et indirectement, cela lui donne de l’influence dans la gestion de ses affaires dans d’autres sphères ».

Threads, Bluesky, qui peut prendre la place de X ?

Néanmoins, le virage plus « trash » de X par rapport à feu Twitter n’est pas sans risque, estime Alain Staron. Le cofondateur d’Artifeel juge que « l’évolution actuelle de X fait qu’il y a une place à prendre ». Pour un réseau social plus conventionnel comme Threads ou Bluesky ? « Les gens les moins extrémistes sont plus nombreux, et s’ils restent passifs dans les discussions, au bout d’un moment, ils risquent de partir s’ils ont une alternative crédible. » En emportant probablement une partie des annonceurs, qui « se détournent d’une plateforme quand les contenus ne leur plaisent pas, ce qui est légitime ».

Miser sur un public « plus extrémiste », « prêt à payer pour s’exprimer » selon Alain Staron, peut-être une stratégie dangereuse. Mais pour Julien Pillot, le risque reste calculé. Avec les annonceurs comme les utilisateurs. « Sur Twitter, il y a une audience particulièrement qualifiée, certains annonceurs peuvent considérer que malgré les frasques de Musk, malgré l’absence de modération, cela peut rester intéressant et rentable d’y être présent. » Les réseaux concurrents vont avoir du chemin à parcourir pour rattraper le retard sur une plateforme déjà bien installée. 

Multi-homing, communauté agissante et spectre de l’accident industriel

« On observe plutôt actuellement des personnes qui font du multi-homing, qui, sans quitter X/Twitter, créent des comptes sur Bluesky ou d’autres réseaux concurrents, mais très peu ont pris la décision de se couper de Twitter. » Pour une raison assez simple finalement, la présence sur le réseau social de Musk « de la communauté agissante. Se couper de Twitter a un coût, notamment en termes d’influence pour ceux qui vivent de cela ». Cela durera, « tant que la communauté agissante considérera que c’est sur Twitter qu’il faut être, puisqu’il y a le meilleur taux de rebond ». Néanmoins, si un concurrent parvenait à fissurer la position dominante, les conséquences pourraient être douloureuses, prédit Léo Briand. « Pour une plateforme de cette envergure, un déclin du nombre d’utilisateurs n’est pas forcément très visible au départ, mais si une dynamique de cet ordre s’enclenche, en général, elle est compliquée à arrêter. » Difficile de savoir s’il y aura un accident industriel. Facile en revanche, s’il se produisait, de deviner quelle serait la première déclaration d’Elon Musk.