Le cercle RHSMART JOBjeu. 04/01/24

Jeudi 4 janvier 2024, SMART JOB reçoit Lionel Honoré (professeur des Universités, Observatoire du Fait religieux en Entreprise) et Marc Landré (Associé, Sia Partners)


Quelle place pour la religion au travail ?

Plus de deux tiers des travailleurs français sont confrontés, au moins occasionnellement, au phénomène religieux en entreprise. Quand la foi personnelle, le droit du travail et les enjeux de l’entreprise coexistent, que doivent faire les dirigeants, DRH et managers ? On en parle dans le Cercle RH.

C’est écrit noir sur blanc dans le Préambule de la Constitution française et dans l’Article 1132-1 du Code du travail : personne ne peut être discriminé dans sa vie professionnelle pour des motivations d’ordre religieux. Le directeur de l’Observatoire du Fait Religieux en entreprise, Lionel Honoré, explique qu’au travail, « le principe de liberté de manifester ses convictions religieuses prime sur la laïcité, en tant que neutralité religieuse ». Cette liberté accordée aux salariés « ne porte pas que sur le religieux, les convictions politiques également » ne peuvent justifier la moindre discrimination. Cela étant, « depuis la Loi de 2016, l’entreprise a la possibilité de fixer des limités à ces libertés (Loi du 8 août 2016 sur le Travail , ndlr) ».

Religion et travail, une minorité de situations problématiques

Dans le dernier Baromètre du Fait Religieux en entreprise, Lionel Honoré constate que « deux entreprises sur trois environ sont concernées par des situations de fait religieux, et à peu près 20 % des situations sont problématiques, avec un réel impact sur l’organisation et la réalisation du travail, ou encore les relations entre collègues ». Ce qui fait dire à Marc Landré, associé chez Sia Partners, que « la proportion d’entreprises confrontées à des problèmes liés au fait religieux est minoritaire, mais cette minorité est en progression constante depuis une dizaine d’années ». De 6 % à 2013, à 21 % en 2022, de quoi alerter, mais sans néanmoins occulter le fait que « la majorité des problèmes se règlent par le dialogue, entre le manager et le salarié, voire entre le manager et des représentants du personnel ».

Les comportements problématiques portent sur « le refus de réaliser une tâche, de travailler avec une femme ou des gens d’une autre religion ». Des situations qui « impactent l’organisation du travail », signale Marc Landré, et mettent une pression supplémentaire sur les managers. Pour prévenir les cas critiques, Lionel Honoré préconise de la souplesse et « du pragmatisme » face aux situations les plus simples à gérer, et a contrario « une grande fermeté » face aux situations inacceptables. Et donc d’établir en amont « des règles qui vont réguler les demandes, donner un cadre aux managers, notamment de proximité, et contrecarrer les comportements problématiques ».

Religion et travail, qui est concerné ?

Pour l’expert du Fait Religieux en entreprise, « l’idée du baromètre est de montrer que la majorité des situations sont apaisées », mais qu’il y a « deux réalités sur le fait religieux en entreprise ». Une majorité des situations, « où cela se passe de mieux en mieux. Les entreprises comme les salariés ont appris à gérer ce qui est faisable ou pas » et, à l’opposé du spectre, « 20 % des entreprises face à des situations problématiques, de plus en plus sensibles ». 

Un profil type est même dressé par le chercheur. « Souvent dans les secteurs avec une grosse main d’œuvre peu qualifiée, plutôt dans la région parisienne et les grandes métropoles, plutôt des jeunes. » Et aussi plutôt des hommes de moins de 35 ans. « Toutes les populations sont concernées par les faits religieux : hommes, femmes, vieux, jeunes. Mais quand on s’intéresse aux comportements qui posent un problème, ce sont plutôt des hommes en dessous de 35 ans, car après 35 ans, les comportements problématiques déclinent. Et plutôt des hommes de religion musulmane, quand les femmes, même de religion musulmane donc, ne créent presque jamais de conflit. »

Gérer la religion, sans en parler

Quelles que soient les situations, l’entreprise doit respecter le droit du travail à la lettre pour éviter d’être en tort, qu’il s’agisse de régler ou prévenir une situation. L’une des règles d’or est le respect de la vie privée, qui impose à l’employeur de s’adapter au collaborateur. « C’est au salarié d’aller vers le manager et de faire des demandes », explique Honoré. « Le manager, lui, doit avoir une politique, des éléments de son règlement intérieur qui vont encadrer la question… » C’est seulement « dans les cas de remontée d’un problème », précise Marc Landré, « que le manager va aller vers le salarié ». 

Gérer la religion au travail nécessite patience, pragmatisme, et aussi une habileté à ne pas nommer les choses. « Prenons l’exemple d’un recrutement, un demandeur d’emploi qui répond à une offre n’a pas à faire état de sa confession religieuse. » Le dirigeant, recruteur ou DRH doit donc « demander si les conditions de travail telles qu’elles sont proposées posent un problème ou non ». Libre au candidat de donner une réponse « sans forcément faire mention de sa religion ». Pour s’en sortir, « il ne faut pas évoquer la religion en tant que telle mais ses conséquences pratiques dans le travail. »