Le cercle RHSMART JOBlun. 22/01/24

Lundi 22 janvier 2024, SMART JOB reçoit Karine Usubelli (directrice richesse humaine / RSE, Entoria) et Philippe Silberzahn (professeur en stratégie, EM Lyon Business School)


Peut-on apprendre à devenir manager ?

Manager, c’est un métier. Mais aussi une récompense que l’on offre aux salariés les plus méritants. Il est pourtant admis que tout le monde n’a pas le management dans le sang. Mais pour ceux qui aspirent aux responsabilités de N+1 sans jamais les avoir exercés, quelle serait la formule pour se mettre à niveau ?

« Est-ce qu’on apprend l’intelligence émotionnelle, l’intelligence situationnelle ? Est-ce qu’on apprend à avoir du courage, à gérer l’inattendu, l’ambiguïté ? Aujourd’hui, dans nos organisations, c’est pourtant cela que l’on attend de nos managers… » Karine Usubelli est catégorique sur le sujet : il y a un flou artistique mondial sur la fonction de manager. Pour la directrice richesse humaine chez Entoria, spécialiste de la protection sociale et de l’assurance, « être manager c’est plus complexe qu’une liste de compétences que l’on va acquérir au fil de l’eau, ou plus complexe qu’une posture qui serait innée… ». À l'appui de son propos, elle se plaît à citer une étude du cabinet Gartner en 2023 , selon laquelle 54 % des managers sondés disent souffrir de leur rôle. « Un sur cinq dit même qu’il aimerait ne plus exercer le rôle, ce qui génère forcément un impact négatif sur l’ensemble des salariés. » Et toujours selon l’étude, la formation « n’améliorerait les performances des managers que de 4 %, du coup, on peut se demander comment faire… ». 

Les prédispositions face aux injonctions contradictoires

Le postulat d’une impossibilité d’apprentissage du management est rejeté en bloc par Philippe Silberzahn, professeur de stratégie à l’EM Lyon. « On peut avoir des prédispositions, ou pas, pour le management, mais il y a toujours des choses à apprendre. » En guise d’exemple, il cite « les cours de leadership, qui ne transforme pas en leader » comme les cours de management « ne transforment pas en manager, mais aident à devenir un meilleur manager ». 

À ses yeux, la plus grande difficulté aujourd’hui ne réside pas tant dans l’incapacité à apprendre que dans la difficulté à gérer « la multiplicité d’injonctions contradictoires » qui pèsent aujourd’hui sur les épaules du manager. « Il doit être empathique, proche, performant, soucieux de la planète… On empile des responsabilités, et il a en plus le COMEX à gérer, cela devient impossible. » Cela explique selon lui en partie la crise de vocations. 

Manager et chef d’orchestre, même combat

En 2024, « un manager fait plus que manager » pour Karine Usubelli, qui préfère d’ailleurs le terme de « leader », et estime qu’il faudrait « modifier les programmes d’accompagnement et de développement des compétences ». Mais surtout, elle pose sur la table la nécessité de revoir « les modes d’accession aux postes de manager dans nos organisations ». Un point sur lequel la rejoint Philippe Silberzahn. « Un grand classique, on propulse un ingénieur performant… Un technicien efficace se retrouve soudain à gérer des gens. Cela nécessite des compétences différentes… » L’individu peut réussir la transition, mais pas sans une formation et, surtout, un accompagnement.

« C’est le rôle de l’entreprise d’avoir conscience qu’une promotion à un poste de manager est un saut important, et que la réussite ne repose plus sur les mêmes bases – l'expertise technique – mais la capacité à faire fonctionner un collectif. Cela nécessite aussi des compétences sociales et psychologiques. » Or trop souvent, « le management est conçu comme une promotion » et non un métier différent. « Un manager doit être un généraliste. Il ne doit pas être là parce qu’il est le meilleur expert dans un domaine, mais parce qu’il est capable de faire travailler ensemble des gens qui ne peuvent pas se parler. C’est un chef d’orchestre, et si un chef d’orchestre doit connaître la musique, peut pratiquer un instrument, il n’a pas besoin d’être le meilleur joueur dans son instrument pour bien diriger son orchestre… »

Il aurait pu ajouter qu’un chef d’orchestre doit forcément être passionné par la musique, comme un manager doit avoir envie de s’occuper des autres. C’est le point clé, selon Karine Usubelli, pour faire la différence entre les bons et les mauvais managers. « Il faut demander à la personne si elle a envie de manager. Moi, j’avais cette envie d’accompagner, de travailler sur l’humain. Aujourd’hui, on propulse les experts et les seniors sur les postes de managers sans leur demander s’il y a une appétence. Cela provoque des crises. » Selon elle, le questionnement doit être récurrent, elle s’applique d’ailleurs cette discipline : « je sens que j’ai toujours le même plaisir à manager. C’est la seule question que je me pose pour savoir si je peux continuer. » Qui aime bien apprend bien…