VOS QUESTIONSSMART TECHlun. 22/01/24

Lundi 22 janvier 2024, SMART TECH reçoit Claude de Loupy (cofondateur, Syllabs) et Pierre Petillault (directeur général, Alliance de la Presse)


Comment les médias s’emparent-ils de l’IA ?

Une chaîne d’infos entièrement générée par l’IA, avec des présentateurs virtuels et des contenus personnifiés, c’est le pari que s’est récemment lancé la start-up américaine Channel 1. Si ce projet est inédit, ces nouvelles technologies se sont, en réalité, déjà fait une place dans les rédactions. Comment l’IA est-elle utilisée par les journalistes ? Est-ce une menace ou une opportunité pour la profession ? On tente de répondre à ces questions avec nos experts sur le plateau de SMART TECH.

À première vue, difficile de distinguer qu’il ne s’agit pas d’un vrai journal télévisé. Tous les effets de style sont présents : le ton du présentateur est professionnel, sa gestuelle fluide, une musique et des images d’illustration accompagnent le reportage. Et pourtant, tout est en images de synthèse. Channel 1, la première chaîne d’information générée par l’intelligence artificielle, commencera à diffuser ses contenus en mars 2024. « Ce n’est pas quelque chose de nouveau, cela fait très longtemps que les médias utilisent l’intelligence artificielle », indique Claude de Loupy, cofondateur de Syllabs. 

« En utilisant les IA, on peut aller beaucoup plus vite » 

Transcription d’interviews, veille d’infos, détection de fake news… Ces tâches fastidieuses peuvent être automatisées grâce à l’intelligence artificielle. Selon Francesco Marconi, professeur de journalisme à l’Université Columbia de New York, ces nouvelles technologies sont déjà capables d’assurer entre 8 à 12 % des missions journalistiques. « En utilisant les IA, on peut aller beaucoup plus vite dans la préparation du travail et dans la compréhension du domaine en question », rappelle Claude de Loupy. L’utilisation de l’IA par le journal Le Monde en est un bon exemple. En 2015, la technologie de Syllabs a permis au quotidien français de rédiger près de 30 000 articles pour couvrir les élections départementales. À l’international, beaucoup de médias ont également développé leurs propres outils pour adapter leurs articles et proposer des contenus toujours plus personnalisés. 

L’importance de s’engager et de vérifier le contenu

L’intelligence artificielle est donc un outil de travail précieux qui libère du temps aux journalistes et leur permet de se concentrer davantage sur la qualité du contenu. Néanmoins, si « beaucoup de tâches qui relèvent du travail des journalistes peuvent être utilisées par une IA générative sans beaucoup de dommages sur le contenu », il est primordial « qu’il y ait une relecture et une vérification », martèle Pierre Petillault, directeur général de l’Alliance de la Presse. L’intelligence artificielle est une prouesse technologique, pas un outil magique, et ne peut donc se passer de l’intelligence humaine. « Le fait d’avoir des données traitées automatiquement, si elles ne sont pas vérifiées par des journalistes, je trouve ça extrêmement dangereux », rappelle Petillaut. Il est donc primordial que le journaliste supervise le contenu, à chaque étape de la production.

« Rien ne remplacera le travail journalistique de recherche de l’information » 

En clair, la technologie bouscule la profession, mais elle la pousse également à revenir à ses fondamentaux. « Si on dessinait un scénario apocalyptique, on pourrait s’imaginer que les gens ne s'informent plus que par des contenus générés par des IA », explique le DG de l’Alliance de la Presse. Ce qui renforce le rôle central de l’expertise journalistique pour vérifier l’information ou enquêter. « Ce qui fait la valeur ajoutée du métier, c’est la capacité à s’engager sur ce qu’on publie et la prise de responsabilités, y compris pénales. »

L’intelligence artificielle ne doit pas prendre de décision à la place de l’humain, sa performance dépend de notre capacité à exploiter son potentiel tout en limitant ses écueils. Selon un récent sondage réalisé par La Croix, 58 % des Français n’accorderaient pas leur confiance aux médias utilisant l’intelligence artificielle pour choisir les sujets à traiter. Or, Claude de Loupy le rappelle, « le média est censé être une source d’informations en laquelle on peut avoir confiance parce qu’il y a vérification et traitement d’une information ». Il est primordial de former les journalistes à ces nouveaux systèmes pour qu’ils puissent les appréhender. Plutôt que de bannir les outils technologiques des rédactions, le cofondateur de Syllabs prône leur enseignement « en écoles de journalisme ». Les futurs journalistes pourront demander à ChatGPT ce qu’est la déontologie journalistique…