Le cercle RHSMART JOBjeu. 14/03/24

Jeudi 14 mars 2024, SMART JOB reçoit Olga Damiron (DRH, Vantiva) et Antoine de Gabrielli (expert sur égalité au travail, auteur, S'émanciper à deux)


Le couple, le travail et l'égalité

L’égalité professionnelle femmes-hommes commencera au sein du couple ou ne sera pas. Invités de SMART JOB, l’auteur Antoine de Gabrielli et la DRH de Vantiva, Olga Damiron, s’interrogent sur la quête de l’émancipation conjointe par le travail.

La question de l’égalité professionnelle hommes-femmes est un paradoxe : tout le monde est d’accord pour dire qu’elle est nécessaire, mais personne ne sait vraiment comment accélérer sa mise en œuvre. Pour Antoine de Gabrielli, la résolution de l’équation impose de s’intéresser aux couples. « La question de l’égalité professionnelle dans le couple se pose depuis assez peu, environ 20 ou 30 ans », rappelle l’auteur de S’émanciper à deux, aux Éditions du Rocher. « Jusqu’à la Révolution industrielle, l’entité économique de base n’était pas l’individu, mais le couple, on travaillait ensemble. Cela a changé dans les classes populaires à partir de la Révolution industrielle, et dans les classes moyennes et la bourgeoisie, seulement à partir des années 70. » Si aujourd’hui, la norme veut que les deux conjoints travaillent simultanément, il rappelle que « c’est une situation radicalement nouvelle, et qui n’a donc pas encore été suffisamment pensé jusqu’ici ».

« Un angle mort des politiques d’égalité »

Alors que les entreprises rivalisent d’inventivité en 2024 pour offrir des solutions de qualité de vie au travail (QVT), Antoine de Gabrielli voit le couple comme emprisonné « dans un angle mort des politiques d’égalité ». Or, cet angle mort pénalise le plus souvent les femmes. « Les mères assument en moyenne 70 % des responsabilités familiales, et ce chiffre évolue très peu. Cela veut dire que quand elles sont au travail avec leurs collègues hommes, elles disposent de moins de temps. » En moyenne, une heure de moins par jour, mais « cela ne veut pas dire qu’elles travaillent moins, elles ont moins de pauses, plus de stress… ».

Pour Olga Damiron, DRH du fournisseur de solutions d’accès à internet Vantiva, « les hommes se sont émancipés grâce au travail depuis plus longtemps que les femmes, et sans se poser la question, ils avaient déjà sacrifié une partie du temps du couple et de la famille au bénéfice de leur carrière ». Quelques décennies plus tard, les femmes sont donc arrivées sur le marché avec moins de marge de manœuvre, ce qui doit changer selon Antoine de Gabrielli. « Le cœur du problème des inégalités entre femmes et hommes, c’est la situation des mères de famille au travail. » Selon lui, l’arrivée d’un premier enfant « ne change pas dramatiquement les choses », contrairement au second puis au troisième. « C’est là qu’une économie familiale se met en place, c’est là où on bute sur des temps incompressibles. »

Les arbitrages se font au profit du plus gros salaire, « car les couples sont rationnels », qui est souvent l’apanage de l’homme. « Dans les trois quarts des couples hétérosexuels en France, c’est encore le conjoint homme qui gagne le plus », rappelle-t-il, même si les écarts se resserrent. L’impact reste néanmoins immense sur les carrières des femmes. « Au deuxième enfant, 40 % des femmes ont un changement professionnel pour s’adapter, elles sont 60 % à partir du troisième. Alors que pour les hommes, cela reste stable, autour de 15 %. La maternité et la paternité créent une tension entre la vie privée et la vie professionnelle, mais elle est essentiellement encore aujourd’hui assumée par les mères. »

« Si mon conjoint travaille trop, moi, je ne peux pas travailler suffisamment »

Pour Olga Damiron, la solution passe par les entreprises, qui doivent prendre le parti « d’accompagner les hommes pour s’autoriser plus de temps en famille ». Les nouvelles générations « ont moins peur de se positionner sur ce type de discours, et même dans les entretiens de recrutement, les questions arrivent rapidement désormais ». Au-delà de la question homme-femme, Antoine de Gabrielli insiste sur l’importance d’un équilibre des carrières. « Si mon conjoint travaille trop, moi, je ne peux pas travailler suffisamment, car je suis contraint d’assumer les responsabilités familiales à un niveau trop important. Se met en place de fait une certaine compétition qui peut devenir une confrontation dans le couple. » 

Olga Damiron estime que le monde du travail n’est pas toujours « assez discipliné » pour dire stop aux excès de zèle. « Il faut que l’entreprise s’autoéduque, s’autodiscipline pour enlever cette notion d’urgence et d’immédiateté. Cette notion du temps de travail doit être complètement revue avec les salariés pour allier leur bien-être et la performance globale. Quand vous choisissez des gens pour des projets, la compétence est la première clé, mais il faut considérer la disponibilité, et adapter la charge de travail en fonction de cette disponibilité. On sait que si on le fait, cela rendra les collaborateurs plus performants, et c’est donc l’entreprise qui sera plus performante. »