Le cercle RHSMART JOBlun. 14/06/21

Lundi 14 juin 2021, SMART JOB reçoit Christian de Boissieu (économiste, professeur émérite et vice-président, Cercle des économistes) et Bruno Ducoudré (économiste au département Analyse et prévision, OFCE)


Croissance et emploi : faux amis ?

Quel niveau d’emploi pour la rentrée de septembre ? Quelle est la capacité de la France à relancer son économie, à créer des emplois ? Y a-t-il vraiment un lien entre croissance et emploi ? Dans le Cercle RH de SMART JOB, le sujet de l’incidence de la crise Covid sur l’emploi sera également abordée avec Christian de Boissieu, économiste et président du conseil scientifique de la fondation Concorde et Bruno Ducoudré, économiste au département analyse et prévention de l’OFCE.

Quel est le lien direct entre croissance et emploi ? La France à 5.7% de croissance en fin d’année. Va-t-on avoir des créations massives d'emploi ? Selon Bruno Ducoudré, économiste au département analyse et prévention de l’OFCE : “C’est bien plus compliqué ! Déjà, on n’a pas encore récupéré les niveaux de production de richesse qu’on avait avant cette crise, en 2019. On est encore près de 5% en dessous du PIB qu’on produisait fin 2019. C’est-à-dire que la croissance qu’on va avoir, c’est d’abord, rattraper cet écart de production. C’est cela qui est important. Pour l’instant, on ne l’a pas rattrapé. En termes d’emploi, on ne l’a pas du tout rattrapé non plus. Ce que l’on observe dans les crises traditionnelles par le passé, c’est un lien croissance/emploi. Quand on entre en récession, on a des entreprises qui ont leur marge qui se dégrade, qui ajuste l’emploi et quand cela repart, elles commencent d’abord par améliorer leur marge de production et ensuite seulement elles créent de l’emploi, quelques trimestres après. Il y a un délai d’ajustement.” Il poursuit en prenant l’exemple de la crise Covid, très spécifique : “Pour cette crise-là, ce n’est pas vraiment ce qu’il s’est passé pour plusieurs raisons : on a eu un ajustement du marché du travail à la crise qui a été complètement différent. D’abord parce qu’on a décrit une crise qui est de plus en plus sectorielle, ciblée sur certains secteurs (hébergement, restauration, service aux ménages, commerces…) et parce que l’on a eu des dispositifs massifs qui ont été mis en place (notamment l’activité partielle) et finalement, l’emploi en CDI ne s’est quasiment pas ajusté à la baisse d’activité qui est inédite”.

Le chiffre de 5.7% de croissance est donc à mettre en perspective : on n’a pas rattrapé le niveau de croissance. L’an passé, en 2020, le PIB de la France avait reculé de 8.2%. Selon Christian de Boissieu, économiste et président du Conseil Scientifique de la Fondation Concorde : “L’année dernière, en 2020, nous étions en dessous de la moyenne de la zone euro qui était autour de -6% et cette année, on va être au dessus de la moyenne de la zone euro. Mais c’est un phénomène de rattrapage. Sur les problèmes de lien croissance/emploi, c’est assez habituel un phénomène de retard parce qu'au-delà des aides particulières de cette année (chômage ou activité partielle), vous avez généralement des phénomènes de thésaurisation de main d'œuvre durant les crises. C’est-à-dire que les entreprises mettent du temps à ajuster leur niveau d’emploi par rapport au recul ou à la récession parce qu’elles se disent “si on licencie, il faudra re-former”. Le phénomène de thésaurisation de main d'œuvre a été accentué par le régime d’activité partielle. Pour moi, le débat des prochains mois, c’est “est-ce que l’on va se trouver dans une situation paradoxale où la situation économique pourrait se dégrader au moment où la crise sanitaire se termine”. C’est le problème de savoir à quelle vitesse on remet en cause le “quoi qu’il en coûte”, l’oxygène qu’on a donné aux malades (c’est-à-dire à l’économie). Il y a un tournant très compliqué à prendre pour le gouvernement, un problème de calendrier pour éviter ce paradoxe.”

Pauline GRATELLE